Les étrangères

Irina Teodorescu

Gaïa

  • 6 novembre 2015

    Curieux roman, sublime roman. L'histoire de Joséphine, exilée de Bucarest. Elle a quitté la grande maison vide, la maison qui s'ennuie, celle qui a froid et "des vagues bleues de radioactivité la traversent".

    Elle est venue à Paris, la ville froide, sans intérêt où "les gens se cultivent, lisent et réfléchissent et brillent et posent."

    Joséphine est étrangère en France et étrangère là-bas, ce pays où le bonheur devient de plus en plus solide. Alors que le Mur tombe, le Palais du Peuple devient moins gris, Joséphine arpente les quais, là où "la Seine est aussi lourde et lente que le temps qui ne passe pas".

    Alors elle photographie, pas la misère, ce n'est pas son sujet car "la misère saute aux yeux". Nul besoin de Joséphine pour la révéler.

    "La jeune iconoclaste décide de sacrifier son année et présente ses photographies à toutes les épreuves du baccalauréat. Les portraits qu'elle expose aux examinateurs sont ceux de gens proches de nous, ce pourrait être nos parents, nos frères, nos amis, nos collègues, etc...".

    Puis la série des faux pas, capter le mouvement dans le corps des danseuses la mènera vers Nadia, l'impératrice du mouvement. Elle est ce que Joséphine ne sera jamais. Souveraine de son corps et de son désir.

    Joséphine aime à s'envelopper dans sa chevelure, double de Nadia. La passion amoureuse, sulfureuse et délirante emporte très loin les deux étrangères. Etrangère au pays, étrangère aux autres, étrangère l'une de l'autre?

    C'est une fable lumineuse et onirique qu'Irina Teodorescu nous confie entre les pages, tour à tour fantaisistes, baroques et espiègles. Un texte foisonnant où l'art tourne son regard vers l'intérieur, vers l'âme. L'obsession de l'âme en mouvement où Nadia est la dynamique, l'énergie à jamais figée sur les images de l'amoureuse. Deux étrangères fusionnées. La dualité des étrangères interroge sur l'image de soi comme dans un autoportrait à deux têtes.

    L'amour absolu mène à la folie, celle du cercle imaginaire. Nadia devient "la reine sanguinaire installée sur un trône qui tourne sur lui-même". D'où viennent les étrangères, amantes siamoises? Jamais de chez elles.

    Il faut alors s'éloigner l'une de l'autre pour se ressourcer, oublier l'amour sensuel et absolu, sauvage et démoniaque pour se réfugier auprès d'une transcendance délicate aux épaules dorées. Les voix des étrangères résonnent de Paris à Bucarest jusqu'à Kalior, la ville orientale et emportent le lecteur dans un pays imaginaire riche de sens à la lisière du réel où l'amour enchante, virevolte et s'évapore.

    Merveilleux roman publié chez Gaïa, Octobre 2015.