Yv

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Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

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23 mars 2016

Laurent Bénégui que j'ai découvert avec le très drôle et excellent "Mon pire ennemi est sous mon chapeau", délaisse cette fois-ci la comédie pour un roman plus introspectif qui interroge la paternité. Mais s'il change de genre, il garde en lui cette qualité liée à la comédie : le rythme. Les éléments se déchaînent, les événements eux s'enchaînent, et le lecteur n'a pas une seule seconde d'ennui même lorsque le temps et les personnages sont plus calmes et qu'ils se posent pour réfléchir. C'est un roman qu'on dévore sans pouvoir s'arrêter même si parfois on le pose pour en profiter plus longtemps et pour laisser à Romain et Louise le temps de se parler et d'avancer.

Il faut dire que Romain a des circonstances atténuantes : fils d'un mathématicien qui a fait trois enfants à trois femmes différentes avant de disparaître totalement, il ne connaît pas grand chose à la paternité. Sportif de haut niveau -plongeur-, sa carrière s'est arrêtée brutalement après un accident en compétition, il est maintenant taxi de nuit, avec des horaires pas très aisés pour élever un enfant. Puis cette femme seule à côté de Louise, qui accouche d'une quatrième fille et dont le mari ne viendra pas car il ne peut accepter de ne pas avoir de garçon ; et Louise qui est enceinte d'une fille, Alessia. Rien autour de Romain ne l'aide à envisager sereinement sa paternité. Et encore, je vous passe certains détails plus ou moins importants -l'auteur est plein de ressources- qui font que Romain se pose énormément de questions.

Laurent Bénégui réussit l'exploit si ce n'est de nous mettre dans la tête de tous ses personnages, au moins d'être très proches d'eux, de leurs pensées, leurs questions, leurs doutes, leurs découragements, ... C'est là que je trouve son roman très réussi, parce qu'on a l'impression qu'il a fait le tour de la question en l'envisageant selon plusieurs points de vue : Romain, bien sûr, mais aussi Louise, les sœurs de Romain, sa mère et la petite fille à naître, Alessia. D'ailleurs c'est par elle que le roman débute : "Plus tard Alessia apprendrait qu'elle était née lors de la tempête, et qu'au moment où se jouaient les premières heures de son destin des vents polaires s'écharpaient sur les barrières d'air fiévreux dressées au-dessus de l'océan." (p.11) C'est cela qui m'a beaucoup plu : chacun des intervenants est important et chacun a son mot à dire pour faire avancer le futur père. En plus de cela, Laurent Bénégui use d'une très belle langue. Le rythme qu'il donne ne l'empêche pas de faire preuve de beauté et de délicatesse, notamment lorsqu'il décrit Louise et la relation très sensuelle qu'elle a avec Romain, mais aussi les éléments, souvent amenés avec de longues phrases même s'ils sont violents. L'écriture est très descriptive, les pages sur l'accouchement de Louise -et donc la naissance d'Alessia- sont écrites comme si l'on y était, elles sont absolument magnifiques.

Enfin bref, je pourrais en faire des caisses, ajouter encore du formidable par ici ou du sensationnel par là, mais le mieux est que chacun se fasse sa propre opinion, ce serait dommage de se priver d'un tel beau moment de lecture.

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23 mars 2016

Dieux et mécanismes est un livre composé de deux romans, le premier, Opération Burning Bush est l'histoire de Semion Levitan qui se voit proposer (de la même manière qu'on désigne certains volontaires, il n'a pas vraiment le choix) un job particulièrement étonnant : équipé d'un alliage dans l'une de ses dents qui fait émetteur-récepteur, et doté d'un organe vocal troublant, il devra parler à l'oreille de George Bush, le président des États-Unis au moment de l'histoire en se faisant passer pour Dieu et lui inspirer nombre de réactions et d'actions mettant à mal son pays au profit de la Russie.

Le second, Les codes antiaériens d'Al-Efesbi, met en scène un homme du nom d'Al-Efesbi, en fait un agent secret russe, capable de détruire en Afghanistan tous les drones que les États-Unis envoient. Ces derniers tentent de récupérer les codes de l'agent pour le contrer.

Histoire de perturber l'ordre, je vais commencer mon article par le second roman qui m'a moins emballé. Plus court (120 pages), il est aussi plus bavard et même s'il parle de pratiques courantes bien que parfois délirantes, je me suis perdu dans les descriptions et les propos de l'auteur. A travers une histoire, il dénonce et se moque de tous les protagonistes, par exemple, le nom de son "héros", Al-Efesbi (FSB en anglais, le nouveau nom du KGB). Outrance, stratagèmes sont au programme.

Le premier roman, Opération Burning Bush, que l'on peut traduire par Opération Brûler Bush ou Opération Buisson Ardent est un régal de loufoquerie, anticipation, géo-politique, stratégie de domination où tous les moyens sont permis, délire total. Qu'on se mette dans le bain avec cette description de l'homme qui va aider Semion à parler à G.W Bush : "Il était le chef du département des substances spéciales et des états de conscience altérés. Une phrase glissée dans la conversation m'apprit qu'il n'était pas un simple dealer de drogues du FSB mais une sorte de consultant en chef pour les questions spirituelles et ésotériques." (p.53/54) Et oui, Semion aura besoin de substances pour se mettre dans un état second et parler à l'oreille de G. Bush. Totalement délirant et en même temps vraiment dans la réalité, c'est un bouquin difficile à décrire tant il peut partir loin et revenir à des considérations plus prosaïques.

Viktor Pelevine est l'un des écrivains russes dits de la nouvelle génération, à l'instar de Zakhar Prilepine ou Sergueï Chargounov. Ses livres ont été brûlés par des partisans de V. Poutine. Depuis, il ne se montre que peu, continue à écrire des romans forts et dénonçant les dérives du pouvoir, les jalousies et la soif de domination.

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1 mars 2016

Belle surprise que ce roman qui se déroule dans la France de la Renaissance. De cette période, on garde souvent en tête, François 1er, Léonard de Vinci évidemment, mais il est bon de se remémorer que les temps sont durs pour le peuple, que beaucoup de Parisiens vivent dans des taudis, mendient pour vivre, se prostituent et qu'ils ne réussissent qu'à survivre dans ces conditions terribles. La médecine n'est pas encore au top, mais elle s'intéresse de près à l'intérieur du corps, d'où ces anatomies parfois publiques auxquelles le public vient nombreux : "Blaise n'avait jamais imaginé qu'une anatomie publique puisse attirer une foule aussi dense. On avait fermé les portes depuis quelques minutes seulement et déjà l'atmosphère s'alourdissait. La chaleur des corps, des torches et des nombreuses bougies eut tôt fait d'emplir la pièce et Blaise remarqua avec satisfaction qu'il avait cessé de frissonner." (p.109)

Marilyne Fortin agrémente sa plongée dans le Paris populaire de ces années-là d'une histoire d'amour qui naît dans des conditions très particulières et vouée à l'échec sauf si... mais je ne vous en dis pas plus pour ménager le suspense. Ce roman est bien agréable si l'on fait fi des coquilles qui l'émaillent. Néanmoins, j'aurais aimé plus de concision -pas d'incision, il y en a assez- non pas que les séances de découpes des corps soient insoutenables, mais plutôt répétitives. A moins, on comprend très bien... Basé sur un fait historique, un traité anatomique, De humani corporis fabrica paru en 1543 et illustré de gravures anonymes, le roman de Marilyne Fortin est un très bon roman d'aventures avec des personnages attachants et fort bien décrits tant dans leur aspect physique que dans leurs pensées, réflexions et tourments. .

Publié en 2014 au Québec, sous le titre La fabrica, les éditions Terra Nova ont la très bonne idée de publier ce texte en France, vraiment, je le redis, une belle suprise.

Journal d'un autre

La Différence

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1 mars 2016

Déprimés, passez votre chemin, ce roman est fait pour qui va bien et ne redoute pas d'explorer les tréfonds des âmes des coupables d'atrocités. Lecture exigeante donc. D'abord par le thème : le père s'est engagé à dix-sept ans dans les Waffen SS pour échapper à une vie de misère et de violence, plus que par attachement aux idées nazies. Cet engagement était pour lui l'occasion de se sortir de son état ; sans doute y aurait-il eu une autre opportunité dans d'autres armées puissantes l'aurait-il choisie ? C'est l'aventure et le corps militaire en temps de pré-guerre qui l'attiraient : la violence, la mort, l'adrénaline, ... Mais ce fut la Waffen SS, puis ensuite d'autres choix tout aussi discutables, toujours les conflits, toujours la violence pour échapper à sa vie : "Il fuyait. Je crois qu'il n'arrivait pas à faire autrement. Je vous ai dit, il y en a qui ne savent pas comment faire autrement. Ils ne trouvent pas leur place. Et nous, encore une fois, nous ne sommes pas à la leur. Pour eux, revenir n'a pas de sens. Pour quoi faire et pour qui ? Et quel visage montrer à ceux qui sont restés et qui ont attendu ? La honte est leur histoire. Ils s'en vont de partout. Il n'y a pas d'endroit dont ils ne doivent partir." (p.59)

Le fils a du mal à se construire avec une telle image du père, il le cherche dans des photos, dans les souvenirs de parents éloignés ; il s'isole, ne parvient pas à s'intégrer à des groupes, à lier des relations durables trop occuper à tenter de répondre aux questions que lui pose le passé de son père : "Nous sommes dans un jeu de miroirs, de fragments où personne ne se voit tout entier. Mais à tenir les autres à distance, c'est moi-même que j'enferme. Les autres sont mes barreaux." (p.15) Comment doit-il l'intégrer dans sa vie ? Comment en parler ou ne pas en parler ? Comment vivre tout simplement en sachant qu'on est le fils d'un salaud, d'un type qui a tué et violé, certes en temps de guerre, mais tout de même ces crimes sont terribles ?

Et le père d'intervenir comme s'il relatait dans un courrier les atrocités commises par son unité, son dégoût, voire ses actions pour empêcher des exactions, preuve qu'il n'était pas un vrai salaud ou qu'il n'était pas que cela.

C'est un récit lourd, plombant, dur et profond. Jacques Richard parvient à une profondeur rarement atteinte en littérature contemporaine. Son style sec fait de phrases courtes, directes n'y est sûrement pas pour rien. De l'écriture "à l'os" disais je ne sais plus qui, c'est un qualificatif que l'on peut reprendre pour ce roman : il va au plus profond des âmes, des esprits, des questionnements sans se soucier du dérangement et du malaise des personnages voire des lecteurs.

Un roman fort et puissant, intense, pour lequel il faut se ménager du temps et de la distraction entre deux carnets. On peut parfois s'y perdre si on le lit d'une traite, même si c'est tentant puisqu'il ne fait que 142 pages. Enfin, 142 pages qui vous remueront plus que n'importe quel best-seller -on me pardonnera j'espère cet anglicisme- de telle ou telle rentrée littéraire.

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1 mars 2016

Popa Singer, c'est un diminutif de Popa Singer von Hofmannstahl, née sous le nom de Dianira Fontoriol, haïtienne de Jacmel, mère de Richard Denizan, le narrateur, double de René Depestre. Pourquoi ce surnom ? C'est un peu long à expliquer et René Depestre le fait tellement mieux que moi, disons que le Singer est lié à la machine à coudre et non au vocable anglais et qu'il faut donc le dire à la française, "Popa Singère". C'est dans la maison de Popa Singer que se regroupent les frères et sœurs et beaux-frères de Richard. Elle est couturière mais est aussi habitée par un loa (esprit mythique vaudou) qui la fait entrer en transe et deviner des événements du futur. Une femme forte, veuve de bonne heure qui est le ciment de cette famille.

1958 est une année particulièrement violente en Haïti, Papa Doc doit asseoir son pouvoir et ne rechigne pas à faire tuer tous ceux qui se mettent sur son passage ; cette année-là : tentative de coup d'état, état de siège, élimination des gens soupçonnés de trahison envers lui, enfin, tout passe et notamment la création officielle des tontons macoutes tristement célèbres.

Je ne connaissais René Depestre que de nom, aussi suis-je allé me renseigner sur sa vie son œuvre et je m'aperçois que ce livre est en fait sa vie, Richard Denizan, c'est lui. Aujourd'hui âgé de 90 ans, René Depestre vit en France. Son récit serait amusant s'il n'était tragique. Ubuesque, c'est le mot qui convient. Papa Doc est une espèce de père Ubu comique, ridicule, totalement centré sur lui-même. Ses sbires ne valent pas mieux. La langue dont use rené Depestre est un bonbon à déguster, à laisser fondre, argotique, grossière, recherchée, poétique, empreinte des croyances et des us du pays, néologique :

"Tu voudrais dire, fis-je, que nous vivons nos iniquités sociales et les fléaux naturels comme des phénomènes également magiques ; le tonton-macoutisme d'État, la papadocratie vitam aeternam, la satrapie, créole ou bossale, le carnaval politique auraient la même origine surnaturelle que les pluies et les vents qui dévastent les plantations de bananes ?

- Oui, dit Dianira Fontoriol, la négritude totalitaire à la Papa Doc est la chiennerie cosmique des sorciers de la barbarie." (p.89)

Un pan de la vie de l'auteur et de son pays magnifiquement raconté, avec en prime des réflexions sur le totalitarisme, le racisme, la révolution, la résistance, l'indignation, la résignation et le refuge dans le vaudou et les croyances traditionnelles. Un texte important qui m'a permis de remettre à jour ce que je connaissais de l'histoire de Haïti, de lire une langue fraîche qui m'a laissé sans voix. Admirable !